Sur les mers et océans,un ancêtre du conteneur, le tonneau.
L’exposition temporaire de 2024 du Musée de la marine en bois du Brivet portait le titre Des tonneaux sur les mers : de la Loire aux Antilles au XVIIIe siècle et abordait le métier des tonneliers et l’importance que revêtaient les tonneaux et autres futailles dans le commerce et les échanges par delà les océans. L’article qui suit reprend quelques-uns des thèmes développés durant cette exposition de juillet et août 2024.
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Alors qu’il a pratiquement disparu de notre paysage quotidien, le tonnelier fut durant des siècles, un artisan essentiel pour les voyages sur les mers et océans. Si le tonneau évoque encore les vignobles et les vins, il n’appartient plus guère au monde du transport terrestre et encore moins à celui maritime. Ce tonneau fut durant des siècles un élément majeur pour le transport des marchandises liquides et solides dites sèches. Le tonnelier, cet artisan confectionnait des futailles, barriques, muids, quarteaux barils, et autres pièces de tonnellerie à deux fonds ainsi que celles à un seul fond comme des cuves, cuviers, tinettes, baquets, etc..
Le tonneau et autres futailles ont la particularité d’être montés par assemblage des diverses pièces de bois, les douelles, sans utiliser ni clous, ni chevilles. Au XVIIIe siècle, les douelles sont tenues et reliées par des cerceaux en osier et plus rarement par des cerclages métalliques. Ces contenants sont confectionnés en bois, matériau abondant, aisé à travailler, du moins dans nos régions tempérées. Leur forme, rend les tonneaux résistants aux chocs, aisés à déplacer et à stocker.
Selon l’Encyclopédie de Diderot (1750), le tonnelier est l’« artisan qui fait, relie, & vend des tonneaux, c’est-à-dire toutes sortes de vaisseaux de bois, reliés de cerceaux avec de l’osier, & propres à contenir des liqueurs ou marchandises ; […] Il n’y a qu’eux [les tonneliers] qui aient droit de décharger sur les ports les vins qui arrivent par eau, & de les sortir des bateaux. » Il est également préciser que tonnelier est un terme de marine et que « c’est, sur un vaisseau, celui qui a soin des futailles, qui les rebat, & qui fait les chargements nécessaires. » Dans un décret de 1790, le tonnelier apparaît avec d’autres professions -perceur, calfat, poulieur, voilier, cordier - dans la liste des professions maritimes au même titre que les marins embarqués sur des navires de guerre, de commerce, de pêche ou de servitude.Le tonnelier apparaît sur certains rôles comme membre à part entière de l’équipage comme le charpentier ou le calfat.
Le premier usage des tonneaux jusque dans les 1850, fut le transport de l’eau douce comme boisson de l’équipage durant les longues semaines sur la mer sans toucher terre. (cf. : L’eau à bord des navires).
Les étapes pour monter un tonneau
Les tonneaux durant des siècles sont des contenants indispensables à la vie à bord des navires qu’il soit militaires ou marchands. Sur les navires des marines royales tant anglaises que françaises, les règlements étaient fermes : interdiction d’y porter atteinte, de les utiliser comme bois de chauffe ou de cuisine. Dans la Marine anglaise, on compte même le nombre de douelles embarquées est comptées et le responsable doit justifier leur nombre ou leur emploi au retour ! Sur les navires marchands, le suivi n’a pas la même rigueur en particulier sur les navires négriers qui quittent l’Europe avec des centaines de tonneaux pour charger de l’eau douce pour les esclaves embarqués, mais dont l’utilité n’existe plus au retour en Europe. Selon certaines estimations, pour les navires de la traite française, ce sont environ 35 000 tonneaux qui annuellement peuvent « disparaître » .
Préparation de tonneaux non étanches pour produits secs.
En dehors de l’eau douce et de la nourriture et autres boissons des équipages, les marchandises les plus diverses sont mises en tonneau, dans ces « vaisseaux de bois ». Deux grandes catégories de produits sont mis en tonneau, les liquides et les marchandises dites sèches. Cela correspond également à deux types de fabrication des tonneaux existent, ceux totalement étanches pour recevoir les liquides, et ceux plus légers et non étanches, souvent pas ou peu réutilisables pour les matières sèches.
En analysant quelques chargements de navires nantais au dix-huitième siècle, deux éléments frappent, la diversité des contenants en bois fabriqués par les tonneliers, celle des chargement. Les contenants ayant des formes similaires aux tonneaux sont de volumes fort divers : poinçons, quarts, tonneaux, barriques, barils, futailles, pipes. Les produits mis dans ces divers contenants sont encore plus variés. Pour les liquides : des vins de Bordeaux, d’Anjou, du Pays Nantais, de l’huile de noix, d’olive, de l’eau de vie ; pour la nourriture : du bœuf d’Irlande, du lard, du beurre d’Irlande, de la farine, de l’orge mondé " Orge mondé (ou entier), uniquement débarrassé de son enveloppe cellulosique inconsommable "., des biscuits, du fromage, du sel. Se trouvent également mis en barrique, barils ou autres, de la quincaillerie, verrerie, de l’amidon, des clous, des ferrements, de l’acier, du suif, parfois des toiles de mercerie, des grosses toiles…
Dans l’un des chargements, celui du Saint Germain (18 novembre 1705), et dans l’une des futailles se trouvent rassemblés « 7 douzaines de faïence, 4 livres de porcelaine, 10 livres d’ouvrage de cristal, 60 livres de cuivre ouvré, 126 livres de tiretaine , 60 livres de toile à doubler " Textile fait à partir de laine, de lin et de coton." 4 livres de chapelets, 1 livre et 6 onces de rubans de soie, le tout acquis à caution de Saumur et de Montaigu. »
Les barriques d'eau douce à bord d'un navire-négrier sur 2 ponts.
Au XVIIIe siècle, presque tous les navires pour les Antilles embarquent également plusieurs centaines de « barriques en bottes », c’est-à-dire non assemblées. Les feuillards et l’osier chargés en paquets permettent de monter les barriques sur place et ainsi répondre aux besoins du raffinage du sucre. Ces contenants montés aux Antilles permettent également, pour le voyage de retour, de transporter vers la métropole du sucre, du café, du cacao, du coton, de l’indigo, etc.
Les tonneaux viendront embarrasser encore longtemps les quais de bien des ports car ils seront employés sur les navires pour le transport marchandises divers et de liquides, surtout du vin jusque dans les années 1970.
Les tonneaux en attente quai de l'aiguillon, à Nantes
Mais de quoi est-il question quand, pour caractériser un navire, il est indiqué des chiffres suivis de ‘tonneaux’ ? Le tonneau également dénommé tonneau de mer est à la fois un volume et un poids, unité de calcul mixte qui permet de connaître les capacités de chargement d’un navire. En France, ce tonneau est défini par l’ordonnance royale de 1681 qui fixe sa capacité à 42 pieds cubes soit 1,44 m³ pour une masse de vingt quintaux ou 2 000 livres, soit environ 979 kg.
Mais est-il pour autant simple de s’y retrouver ? Pour le prix du fret, le Dictionnaire de Commerce de 1742, indique deux méthodes de calcul à employer, soit le poids des marchandises, soit leur encombrement. Quelques exemples sont fournis : « quatre barriques de vin sont prises pour un tonneau ; vingt boisseaux de châtaignes, de blé, de fèves, de graine de lin, de noix, &c. passent aussi pour un tonneau. Cinq balles de plume ou de pelleterie, pesant chacune un quintal, huit balles de papier, pesant chacune cent livres, ne font qu’un tonneau. Trois balles de chanvre pesant chacune deux quintaux, font le tonneau. Vingt quintaux de tabac sont estimés faire le tonneau quant au poids ; mais quant à l’encombrement, il faut cent cinquante rouleaux de tabac pour faire le tonneau. »
Chargement de barriques avec du raisin de table pour l'exportation vers l'Angleterre. Port d' Almeria (Espagne) début XXe siècle.
Si il n’y a plus guère de tonneaux pour embarquer le fret sur les navires, même pour ces derniers, leur jauge ne se calcule que rarement en tonneaux. Ainsi pour tous les navires de plus de 24 mètres effectuant des voyages internationaux, l’unité est l’UMS (Universal Measurement System). Seuls les petits bateaux ont un tonnage exprimé en tonneau dont l’unité internationale vaut 100 pieds cubes soit 2,83 mètres cubes. Nous sommes bien loin des ordres de grandeur de l’ordonnance royale française de 1681.
Quelques sources bibliographiques
Décret présenté par M. Defermon sur les classes de gens de mer lors de la séance du 31 décembre 1790 », In Tome XXI - Du 26 novembre 1790 au 2 janvier 1791. pp. 736-737; Art. 2
Denis Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1ère édition,1751, tome 16, p. 411-412.
Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, d'histoire naturelle et des arts et métiers, Éditeur, Cramer, 1742.
Marine Jaouen, Gaëlle Dieulefet, Laurence Serra, Sébastien Berthaut-Clarac, « Transporter, conserver en mer au XVIIIe siècle, de la diversité vers la standardisation », Journal du Sud, Patrimoines du Sud [En ligne], 13 | 2021. http://journals.openedition.org/pds/6284
Yves-Marie Allain, L’eau à bord des navires : Comment avoir de l’eau douce et potable sur les océans avant 1850 ?, 2023. https://www.marineenboisdubrivet.fr/articles/137589-l-eau-a-bord-des-navires
Yves-Marie Allain, État du chargement des navires Nantais pour les Amériques, 2020. https://www.marineenboisdubrivet.fr/articles/140946-etat-du-chargement-des-navires-nantais-pour-les-ameriques
Professions d'antan : Perceur de
navire et calfat.
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