Les origines du marais indivis de Brière
Des alleux aux lettres patentes,
Entre l’estuaire de la Loire et celui de la Vilaine se trouve une vaste dépression marécageuse d’environ 19 000 hectares. Une partie de ce marécage, appelé Grande Brière Mottièrepossède un statut particulier. C’est l’histoire de cette vaste tourbière que nous abordons.Rappelons que sous l’Ancien régime cette Grande Brière Mottière était propriété des habitants de 14 paroisses : Besné, Crossac, Donges, Escoublac, Guérande, Herbignac, La Chapelle-de 14 paroisses : Besné, Crossac, Donges, Escoublac, Guérande, Herbignac, La Chapelle-Launay, Montoir, Pontchâteau, Prinquiau, Saint-André-des-Eaux, Saint-Lyphard et Saint-Nazaire. Au fil du temps ces 14 paroisses deviendront 21 communes suite à des détachements.Citons les : La Chapelle des Marais, Saint-Joachim, La Turballe, Pornichet, Trignac,et Saint-Malo-de-Guersac. Les habitants de ces 21 communes, possèdent en indivision cette Grande Brière Mottière d’une surface de 6 700 hectares. Les habitants du proche environnement de cette tourbièresont désignés sous l’appellation de Briérons et sont particulièrement attachés aux droits qu’ils possèdent sur ce marais. Ceci a donné naissance à l’adage « Briéron maître chez lui ». Se pose la question : depuis quand le Briéron est-il maître chez lui?
Pour expliquer ce fait, pendant longtemps, place a été laissée à la légende.et il se dit encore, qu’Anne de Bretagne, qui un jour passait par là, attendrie par la misère du peuple de Brière, aurait donné celle-ci à ses habitants. Cette fable n’est guère crédible puisqu’ Anne de Bretagne voit le jour à Nantes en 1477, soit 16 ans après les lettres patentes de François II duc de Bretagne, son père, datées du 8 août 1461 et qui reconnaissent de fait les droits des habitants de Brière sur ce marécage. Il se disait dans les chaumières et il se dit encore, qu’Anne de Bretagne, qui un jour passait
Anne de Bretagne
Nous reparlerons de l’origine des droits que possèdent les habitants de Brière, mais avant, revenons à cette fable et voyons pourquoi elle masque la réalité. Les racines de ces contes de fées proviennent du fait que les historiens du XIXème siècle ont bâti une présentation caricaturale de la société médiévale. En passant sous silence des situations ou en les exposant selon leur imagination, ils ont ainsi laissé place à des représentations fantaisistes. Ces historiens présentent la société médiévale composée de deux classes ; les nobles et les serfs ou en trois si l’on considère l’Eglise comme une classe autonome. Ils passent sous silence l’existence de communautés de paysans libres. Ces paysans libres, soi-disant marginaux, se révèlent plus nombreux qu’on ne le croyait. Aujourd’hui il est admis qu’au seuil des années 900, ils forment la classe la plus générale de la paysannerie. Beaucoup d’entre eux sont appelés par nos textes « Alleutiers », ceux qui tiennent un « alleu », c'est-à-dire une terre ancestrale Ils forment des milliers de communautés villageoises libres. La Brière dont nous parlons a toutes les caractéristiques d’un alleu, d’une de ces terres libres.
Un alleu est une terre possédée en propriété complète, opposé aux fiefs impliquant une redevanceseigneuriale. Il s’agit donc d’une terre ne dépendant d’aucune seigneurie.Les traits généraux des communautés alleutières sont bien connus. Les « habitants » d’un village, les « demeurants », sont groupés en « parentèles », et forment un « voisinage ». Lorsquedes décisions importantes doivent être prises, « tous les voisins qui ont héritage dans le village- village signifie ici le terroir- se réunissent en un « conseil ». Ces conseils sont ouverts aux nobles, du moment qu’ils sont eux aussi résidents dans le terroir. C’est la descriptionqu’en donne Robert Fossier .
Quant à l’abbé Vince dans son ouvrage Notre Brière 2,quelle définition donne-t-il des droits des habitants de Brière ? « Un marais propriété de ses habitants et qui sous l’Ancien régime ne dépendait pas d’un fief, mais les vassaux comme le seigneur y avaient leur part, » du moment qu’ils résident dans le terroir Il y a parfaite concordance entre ces deux textes.
L’origine des alleux
Les premiers alleux remontent au Vème siècle à l’époque où la Gaule romaine fut envahie par les peuplades barbares germaniques, Burgondes, Francs, Alamans,etc. Ces peuples avaient coutume d’établir des communautés en toute souveraineté sur les terres conquises. Le mot alleu vient du francique all qui veux dire « tout » et öd qui signifie « terre », terre à tous. Les choses seraient simples si nous en restions là, en effet, nous connaissons ceux qui importent dans notre pays cette forme de société et nous pouvons en dater l’origine. Mais en histoire, rien n’est simple. Dans notre cas nous ne pouvons ignorer les incursions des Vikings au milieu du IXème et qui viennent brouiller les pistes. Ces individus s’installent dans l’estuaire de la Loire, et se rendent tristement célèbres par le sac de Nantes en 843. Devant les violences de ces nouveaux arrivants, les populations terrorisées s’enfuient pour trouver refuge à l’intérieur des terres. Elles ne regagneront le littoral qu’une fois le danger écarté, soit un siècle plus tard. Toute forme de société semble avoir disparu pendant la période Viking, hormis la leur, qui subsiste après la reconquête du pays par les Bretons. En effets, de nombreux Vikings ou mâtinés de vikings ne reprennent pas le chemin de la Scandinavie ets’installent à demeure dans notre pays.
Alors l’origine de cette terre libre de Brière, faut-il la situer avant, pendant ou après le passage des Vikings ? On ne peut qu’émettre diverses hypothèses, mais en absence de support historique, toute supposition verserait dans la légende. Contentons nous de faire nôtre la position de l’abbé Vince. Voici ce qu’il écrit : Sans dater l’origine des droits des habitants de Brière : « notre marais appartient à ses habitants de temps immémorial », puis il ajoute : « On y a tourbé, fauché foin, litière, roseaux, mis les bêtes « à pagale » depuis toujours. » L’historien géographe Jean-Baptiste Ogée (1728/1789), ne dit pas
Comment évoluent les alleux dans l’histoire :
À la suite de la décadence des carolingiens, au IXème les féodaux s’arrogeant tous les titres et tous les droits, s’attèlent à faire disparaître les alleux. En 1120, d’après Fossier, Du nord au sud nous assistons, toujours d’après Fossier, au même phénomène. Les « paysans libres » savent parfaitement comment se perd la liberté des communautés de villages : par l’avidité des grands, qui dépouillent les plus faibles de leur terre pour le leur restituer ensuite en métayage, et les rendre ainsi dépendants. Pour parvenir à leur fin, tout est bon, ils utilisent des hommes de main pour terroriser les paysans, accroissent les taxes. Et si cela ne suffit pas, bénéficiant de la complicité des clercs ils s’accaparent des alleux par des procès truqués. Les grandes et belles seigneuries sont dans la majeure partie des cas constituées de biens volés aux paysans libres. De tout ce passé ne subsistent que quelques très rares lambeaux de ces alleux, seuls des noms de lieux rappellent cette liberté perdue. Citons en quelques uns, Saint-Ouen les Alleux, la Bazouge des Alleux, les Allues de Savoie, les Alluets en Yveline, les Alleuds que l’on trouve en Ardenne, en Anjou et en Poitou. Lalleu en Ille et Vilaine
Mais alors, pourquoi notre Brière a-t-elle survécu aux assauts de la féodalité ? Reprenons l’histoire, les premiers alleux à disparaître, furent les plus petits et ceux tenus par peu de personnes. Puis vint le tour des plus juteux, composé de belles forêts ou de plaines fertiles. Quant à la Brière, dont les revenus de l’exploitation sont bien maigres, elle a bénéficié d’un environnement favorable, difficile d’accès, guère de chemins praticables une partie seulement de l’année, mais ceci l’a-t-elle réellement mise à l’abri des convoitises ? Il n’y a rien de moins sûr. Quels étaient à l’origine les contours de ce marais indivis? Bien qu’il soit difficile d’y répondre, l’abbé Vince y apporte un éclairage Dans son ouvrage il souligne que des seigneurs possédaient des parts dans ce que nous appelons les marais de Donges. Et de citer Ogée qui dans son plan d’avant la Révolution en donne une description précise. Voyons le cas de Montoir : « Le seigneur de Montoir occupait les terres comprises entre la pointe de Bra, à l’ouest, les haut et bas Lin à l’est, les grands et petits Regnac au nord et Frégonneau, Lourmois, Lavena et Drelif au Midi. » (Autrement dit, les meilleures terres de Montoir). Reste à savoir comment s’était constitué ce domaine et aux dépens de qui ?
Pour le reste ? L’abbé Vince précise: « Le reste n’était ni terre féodale, ni à dépendance seigneuriale, mais domaine propre des vassaux. Dans chaque paroisse, chaque village s’était depuis longtemps réservé à sa porte une part de marais qu’il avait entouré d’une douve. Ce fossé inscrivait dans le sol, mieux qu’une signature, un droit incontestable de propriété ancienne ». Des habitants de Saint-Malo pouvaient pousser leurs bêtes dans les terrains indivis jusqu’à Montoir, au Bois Joubert.»
Ces informations nous invitent à penser que les terres libres de Brière étaient plus étendues que les actuels 6 700 hectares, de la Grandes Brière Mottière, qui n’est sans doute plus que la portion congrue de ce qui fut une vaste terre libre, plus ou moins dépecée au fil du temps. D’ailleurs l’actuel marais indivis n’est pas d’un seul tenant, des parcelles éparses font parties del’indivision. Cependant, le fait que la Grande Brière Mottière soit indivise et propriété des riverains demeure un cas quasi unique, la pugnacité des habitants à défendre leurs droits n’y étant sans doute pas étrangère.
Une dernière question se pose : Que la Brière ait les carac.téristiques d’un alleu, donc propriété des Briérons, soit, mais qui le prouve ? Les lettres patentes
Copie des lettres patentes retrouvée par Maître Guihaire (archives départementales)
Le document le plus ancien que nous possédons est la fameuse lettre patente retrouvée par Maître Guihaire, notaire à Pontchâteau, dans les minutes d’un notaire de Nantes, datée du 8 août 1461, dont nous citons un extrait : « De la part de notre bien aimé cousin et féal le sieur de Cuneix et de Saint Nazaire, nous a été en suppléant exposé qu’il y a une manière de lac en la paroisse de Montoir, assez près des pâtures situées du côté de la Brière, que par la grande submersion et abondance d’eaux, par défaut d’avoir été curés et tenus nets…depuis plus de soixante ans, par défaut de les nettoyer, ont été empêchés, et à l’occasion de ce, les prairies des environs…sont de tout en tout perdues et réduites à l’inutilité…Et avec ce, le chemin de la voie par lesquels le peuple de la dite paroisse de Montoir…avaient coutume d’aller à la dite Brière (dont ils tiraient les mottes pour le chauffage et les foins pour leurs bestes), sont tellement empêchés que les gens du pays n’y pourront aller à boeufs et à charrette, comme ils avaient l’habitude de faire… » Cette lettre patente ne fait pas don de la Brière à ses habitants, mais, ce qui est mieux, elle fait le constat que la Grande Brière Mottière appartient à ses habitants de temps immémorial . C’est la meilleure réponse à la question posée.
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