L'eau à bord des navires
L’eau à bord des navires : Comment avoir de l’eau douce et potable sur les océans avant 1850 ?
Le problème de l’eau douce à bord des navires à voile est parfois réduit à l ‘anecdote du capitaine d’Infanterie Gabriel de Clieu (1687-1774) à qui le botaniste du Jardin du roi à Paris, Antoine de Jussieu (1686-1758), avait confié en 1720 deux pieds vivants de « Café de Moka » afin de les introduire sur l’île de la Martinique. Durant ce voyage, le navire est encalminé pendant deux semaines sous les tropiques. La traversée se prolonge, pas de pluie, les quantités journalières d’eau sont rationnées et afin de ne pas perdre le pied de café encore vivant, Clieu partage sa faible ration d’eau avec lui !
La disponibilité de l’eau douce à bord des navires va être une préoccupation permanente jusqu’au milieu du XIXe siècle, car aucune machine ni instrument n’est en mesure de dessaler l’eau de mer. L’eau douce doit donc être embarquée à terre au moment du départ. Afin d’éviter les incidents, dès le XVIe siècle au Portugal, des règles fixent les quantités d’eau à embarquer par homme et par jour de mer. Petit à petit tous les pays maritimes imposent des règlements précis tant sur les lieux d’approvisionnement en eau douce dans les ports et les aiguades, que sur son stockage et sa distribution à bord des navires. La quantité moyenne à embarquer est de 3 litres par jour et par homme.
Or si cette eau sert à la consommation directe, bien qu’elle soit rarement bue seule, mais le plus souvent elle permet d’allonger le vin ou l’alcool, elle est également utilisée à la préparation des repas (soupe, légumes secs, dessalement des poissons, du lard, du bœuf…) et à abreuver le bétail sur pied parfois embarqué : vaches, mouton, volaille … Il faut également rappeler que cette eau stockée dans des barriques en bois embarquées au fond du navire, tourne, se gâte et se corrompt rapidement, croupit, devient putride entraînant des fièvres et autres indispositions.
Variable selon la fonction et la destination du navire, la provision minimum d’eau pour un vaisseau de 74 canons est de 3 mois pour 775 personnes, soit 210 000 litres. La Compagnie des Indes pour les voyages vers l’Extrême-Orient impose 4 mois et demi, soit pour un équipage de 133 hommes 53 865 litres. Pour les navires de commerce au grand cabotage ralliant les ports européens, les réserves d’eau doivent être de 2 mois, soit 5 400 litres pour un équipage de 30 hommes. Les volumes occupées par ces stocks d’eau sont proportionnellement importants et neutralisent de grands volumes au détriment de la place réservée à l’équipage et au fret. Mais pourquoi ne pas récupérer l’eau de pluie, celle qui descend des nombreux cordages : selon Duhamel Du Monceau : « elle est bonne pour les plantes quoiqu’elle soit mêlée de goudron, ce qui la rend aussi nuisible que désagréable aux hommes et aux bêtes » . Mais elle peut être utilisée pour le lavage du linge, la propreté corporelle et, néanmoins, comme boisson en cas de disette extrême.
Les divers pays européens conservent jalousement leurs comptoirs et îles dispersées dans les océans afin que leurs navires puissent sans difficultés se ravitailler en eau et en nourriture. Pour la France, les Mascareignes dans l’océan Indien joueront un rôle déterminant sur la route des Indes orientales, tout comme le Cap (Afrique du Sud) pour les Pays-Bas ou Sainte-Hélène pour les Anglais.
Cette question de la disponibilité d’une eau douce, saine et potable, reste un problème majeur pour toutes les flottes de haute mer. Dès le début du XVIIIe siècle des recherches sont engager afin d’essayer de transformer l’eau de mer en eau douce. Un médecin nantais, Jean Gaultier (1673-1763) alors qu’il est Médecin chef de la Compagnie des Indes à Lorient invente en 1717 un appareil à distiller l’eau de mer. Il peut fournir 140 pintes (130 litres environ) par 24 heures. Si les procès-verbaux d’essai à terre et en mer attestent à la fois du bon fonctionnement et de la bonne qualité de l’eau, « ce vaisseau distillatoire […] ne peut être employé sous voiles parce que l’eau marine de la cucurbite agitée par les mouvements du vaisseau se mêle et gâte celle qui est réduite en vapeur aux chapiteaux de l’alambic, qu’elle tombe alors en quantité sur le tambour et qu’elle éteint le feu ». Si bien d’autres essais sont entrepris, encore faut-il que la solution préconisée soit d’une «application facile, usuelle, pratique, peu dispendieuse ». Il faut attendre les années 1840 pour que soit mis au point la ‘cuisine distillatoire de Peyre et Rocher’ qui en 1858 pouvait produire 250 litres d’eau distillée par heure de chauffe.
Cette cuisine distillatoire est le résultat de la rencontre d’un chimiste de Saint-Étienne, François Peyre et d’un fabricant de chaudière à vapeur nantais, Michel Rocher. Après quinze ans de recherche, d’expérimentation et d’essais tant à terre qu’en mer, les deux chercheurs proposent une cuisine distillatoire. Après cinq années d’essais à la mer sur les navires de la marine nationale et de la marine marchande, en mai 1843, à Nantes, Carié, gérant de la Société de distillation d’eau de mer, peut écrire que cette cuisine distillatoire « ne tient pas plus de place, elle n’exige pas plus de soin que les cuisines jusqu’ici en usage. Un four permet de cuire le pain et de rôtir les viandes, et dans des marmites évasineptiques [sic] cuisent la soupe, les légumes et tout ce que l’on veut faire bouillir. Pendant ce temps, et avec le même combustible, qui a servi à la cuisson des aliments, l’eau de mer dont l’appareil se remplit au moyen d’une pompe, est distillée et coule comme d’une fontaine, transformée en une eau douce, potable, d’une pureté entière, conséquemment parfaitement saine, et que l’on peut boire immédiatement. […] Le service de ces cuisines est si simple que, dans deux ou trois jours, des cuisiniers ou des matelots peuvent être formés à les conduire facilement. […] Sécurité, salubrité, économie, tels sont les résultats qui les recommandent. »
Ainsi dès la seconde moitié du XIXe siècle, tous les navires à voile ou mixte (voile-vapeur) peuvent être équipés de cette cuisine distillatoire et ainsi résoudre l’un des problèmes de santé des équipages. La disparition de la nécessité d’embarquer des dizaines voire des centaines de tonneaux d’eau aura également des conséquences sur l’aménagement intérieur des navires en permettant d’embarquer plus de vivres pour les équipages, d’agrandir les zones réservées aux marins et, particulièrement pour les navires marchands, d’augmenter substantiellement le volume disponible pour le transport des marchandises.
Allain Yves-Marie, Voyages et survie des plantes au temps de la voile, éditions Champflour, Marly-le-Roi, 2000.
Boudriot Jean, Le Navire Marchand- Ancien régime, étude historique et monographie, Collection archéologique navale française, 1991.
Gay Jacques, « L’eau à bord sous l’Ancien Régime » in Revue Neptunia, n° 188, décembre 1992, p.16-25 .
Jaouen Marine, Dieulefet Gaëlle, Serra Laurence, Berthaut-Clarac Sébastien,Transporter, conserver en mer au xviiie siècle, de la diversité vers la standardisation, https://doi.org/10.4000/pds.6284
Peyre François, Rocher Michel, Appareil cuisine-distillatoire pour rendre sans frais l’eau de mer potable à bord des navires, Imprimerie du commerce, Nantes, 1843.
Reussner André, « L’hygiène navale à la fin du XVIIIe siècle », In: Revue de l’histoire des colonies françaises, tome 19, n°79, janvier-février 1931. pp. 35-54.
Sur les mers et océans,un ancêtre du conteneur, le tonneau.
L’exposition temporaire de 2024 du Musée de la marine en bois du Brivet portait le titre Des...
Reconstitution du naufrage du Tacite
Cette reconstitution du naufrage du Tacite tel qu’il aurait pu se passer (Cf précédente lettre...
Les mousses de Brière
Les Mousses de Brière au 17ème et 18ème siècle.Au 17 et 18ème siècle les hommes étant partis...
De marins à esclaves
Le sort peu enviable de quelques marins de Montoir1702, Denis Leprestre, natif de Montoir, meurt...
1942 : le massacre des apprentis
Le massacre des apprentis des chantiers le 9 novembre 1942En ce lundi 9 novembre 1942, le soleil...
Estienne Chaillon
Estienne Chaillon, une personnalité MontoirineEstienne ( Étienne) Chaillon, est né le 8 avril...