Armand Théophile Juin : Montoirin fusillé pour l'exemple
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Armand nait le 22 avril 1887 à Trignac, qui fait alors partie de la commune de Montoir. Son père, ajusteur est probablement ouvrier aux forges. Il effectue son service militaire du 7 octobre 1908 au 28 septembre 1910 au 26ème régiment d’infanterie, probablement à Nancy. Entre cette date et 1914, on le retrouve à Caen, puis à Ivry, de décembre 1913 jusqu’à son incorporation en août 1914 au 65ème Régiment d’infanterie. Le régiment combat en Belgique, participe à la bataille de la Marne avant de s’installer dans la Somme au cours du premier hiver de guerre où commence la guerre de tranchées.
Armand Théophile Juin est transféré au 64ème RI , le régiment d’Ancenis, compagnie des mitrailleurs de la 41ème brigade, le 25 juin 1915
Engagé dans la bataille de la Somme, le régiment est relevé fin juillet, les pertes durant cette bataille dépassant les 2 400 hommes.
Transféré en Champagne, le 64ème est engagé sur le secteur de la Courtine, où il se heurte à une résistance acharnée sans beaucoup de résultats. Fin octobre, les pertes se montent à près de 1 600 tués, blessés ou disparus, dont 40 officiers.
Réorganisé en novembre 1915, le régiment reprend le secteur de Tahure qu’il conserve jusqu’en mai 1916.. Le secteur est régulièrement bombardé, s’y ajoutent les difficultés liées à l’hiver. Mais bretons et vendéens s’adaptent à la pluie, à la boue, au froid.
La bataille de Verdun s’engage en février1916, et le régiment se prépare à son tour à y participer, bien que non officiellement encore informé. Mais les préparatifs et le sens des déplacements sont des indications suffisantes. La préparation morale des soldats est poussée à fond, mais ils savent ce qui les attend, car les journaux ne se font pas faute de décrire l’acharnement de la lutte, la fureur des bombardements d’artillerie et la puissance du terrible laminoir de Verdun
C’est dans ce contexte que le 64ème s’embarque dans la nuit du 26 au 27 mai en direction de Sainte Menehould, où il rejoint par voie ferrée son cantonnement à Sivry/Ante. D’après le journal de marche du régiment » le trajet s’effectue sans incidents sauf au 3ème bataillon où une quinzaine de coups de fusil sont tirés en l’air. »
Le même journal signale que « 9 soldats manquant au départ ne sont pas rentrés à 20 heures ».
Le général Pétain est présent dans le secteur, ayant réuni les officiers supérieurs de la21ème division (dont fait partie le 64ème R.I.) à Villers en Argonne.
Le 31 mai à 22h30, des coups de feu sont tirés par des militaires du 1er bataillon, au moment où celui-ci quitte son cantonnement de Sevry. Après un jugement expéditif, le colonel donne l’ordre d’exécuter le Caporal Emile Le Pahun (originaire de Saint Nazaire) et le soldat André Schlosser. Ils sont fusillés le lendemain matin, près de leur tombe. On ne trouve dans les archives aucune trace de procédure les concernant. Seul, le journal de marche du régiment note laconiquement « l’opération a lieu sans incident ». Mais il s’est passé autre chose que le journal du régiment ne relate pas. Dans la nuit du 26 au 27 mai, 6 soldats du 64ème R.I ont « refusé à la première sommation d’obéir à l’ordre de marcher à sa place dans la colonne donné par les chefs ». Ce sont le caporal Bertin (originaire de Nozay), et les soldats Henaff, ( Kerfeunteun, 29), Bernard (Brest, 29) (29), Picaud (Trignac), Trique (Belligné) et Juin (Montoir). Ils sont arrêtés le 30 par la prévôté et conduits à la prison militaire de la 21ème D.I., à Sainte Menehould.
Armand Juin et deux compagnons d’armessont déférés devant le conseil de Guerre de la division, réuni le 4 juin dans cette même ville et présidé par le lieutenant colonel De Vial, commandant le 65ème R.I., ils sont défendus par le soldat Robine, avocat dans le civil à Cherbourg et soldat au 47ème R.I.
Les minutes du procès nous éclairent sur ce que l’armée reproche aux 6 soldats. On comprend mieux à travers les différents récits ce qui a pu aboutir à cette situation. Au départ de la marche de nuit ( pour ne pas se faire repérer par l’ennemi), il y a un simple chahut, sans doute favorisé par les libations des jours qui précèdent. « J’ai refusé à mon lieutenant de me mettre à ma place en sortant du village » concède Bertin., l’un des accusés. Le soldat Guichard, témoin, évoque les compagnies quittant le village de Fagnères « en faisant entendre des bêlements semblables à ceux que poussent les moutons menés à l’abattoir ». On chante l’Internationale, on fait « du barouf », pour reprendre l’expression de Bertin.
Puis après le chahut, on passe à une forme plus marquée de contestation. Ce sont tout d’abord les coups de feu tirés en l’air, sans que les choses soient très claires au vu des témoignages recueillis. ces tirs suscitent d’ailleurs une certaine inquiétude chez les poilus, craignant « qu’on leur tire dans le dos », et étanet pour la plupart très étonnés de ce qui se passe.
On passe alors aux insultes, proférés à l’égard des officiers venus identifier les tireurs après avoir remonté la colonne. Le sous lieutenant Gautier, principalement, se fait insulter et traiter de « gosse, fainéant, enculé », selon les termes des procès verbaux. ces insultes sont lancées à l’encontre de ce jeune officier de 21 ans par des poilus qui pour certains approchent ou ont dépassé la trentaine.
Si les formes de la protestation sont assez clairement établies par les différents témoignages, les raisons de la colère sont plus difficiles à cerner. Elles associent sans doute à un terrain favorable – les abus d’alcool – un prétexte – les marches nocturnes répétées – et un motif plus profond : les inquiétudes alors que l’on suppose déjà que ces nouvelles marches conduisent le régiment et la division à Verdun. « Depuis deux jours, on boit beaucoup à Fagnères » écrit Guichard.
L’alcool, plus largement consommé dans ces périodes de repos, à l’arrière-front donc, qu’en première ligne au moment de l’attaque, contrairement à des légendes tenaces, est en effet au cœur de nombre des affaires qui aboutissent à des conseils de guerre et, par suite, parfois, à des condamnations à mort. « J’étais saoul » se justifie d’ailleurs Juin, l’un des suspects dans l’affaire des coups de feu de la nuit du 26 au 27, tandis que Trique, l’un de ses comparses, tente de se dédouaner en affirmant ne pas avoir « entendu tirer des coups de fusil » : « J’étais ivre » explique-t-il. De manière plus large, on sait que l’ivresse joue un rôle central dans la condamnation à mort de nombreux soldats au cours de la guerre.
L’alcool n’explique pas tout cependant, pas plus que les marches exténuantes de cette fin mai : les soldats de la 21e DI en ont vu d’autres depuis août 1914. Les déplacements, peu logiques en apparence puisque l’on marche plus de 30 km vers le nord puis vers le sud le 27 mai pour se déplacer de 40 km vers l’est ensuite, ne sont qu’un prétexte.
Distribution de vin
L’essentiel est ailleurs : dans la perspective de remonter en ligne, et, plus encore, de le faire dans le secteur de Verdun.
Le sens des « bêlements semblables à ceux que poussent les moutons menés à l’abattoir » est évident. « Le carnage de Verdun n’est pas sans les inquiéter » écrit d’ailleurs Guichard, qui nuance cependant en indiquant que « puisque toutes les divisions y passent, ils comprennent que la nôtre aussi doit y passer » .
Verdun cristallise en effet toutes les inquiétudes au 64e RI, d’autant qu’en gagnant Sainte-Menehould, les soldats s’en rapprochent : « on parlait vaguement qu’on allait à Verdun » déclare l’un des inculpés, le soldat Bernard, avant de préciser qu’« on s’en doutait mais on ne savait rien de sûr ». Et tel semble bien être la motivation principale de Hénaff dans ses tentatives pour ne pas « aller [se] faire casser la gueule » ainsi qu’il l’écrit à Fernande, son épouse, son « petit loup » le 1er juin, deux jours après son incarcération à la prison militaire, avec une bonne dose de provocation.
« Ils ne m’auront pas par les balles, ni par leurs marmites, j’en ai trop souffert. Plutôt la mort des 12 balles de chez nous que de recommencer ce martyr »
« Tu sais, comme je te l’ai dit, pour Verdun, c’est fini maintenant ; je ne crois pas que j’y aille » explique-t-il. « Ceux qui vont à Verdun, il en reste le tiers c’est-à-dire sur 4 il en reste 3 sur le terrain, alors vois-tu il n’y a pas de presse pour y aller » écrit-il plus loin. « Je coupe [à] Verdun » semble-t-il se réjouir dans une lettre datée du lendemain.
Ces deux lettres adressées à sa femme, saisies par la justice militaire et conservées dans les fonds du service historique de la défense, permettent de mieux comprendre l’état d’esprit de celui que l’autorité militaire considère comme un des meneurs de la mutinerie.
« Ils ne seront pas si fiers à Verdun » aurait par ailleurs dit le caporal Bertin au sujet des officiers venus restaurer l’ordre dans les rangs après les premiers coups de feu dans la nuit du 26 au 27 mai.
L’enquête est menée selon les règles du temps, et repose sur l’audition des accusés et d’un certain nombre de témoins , sur des confrontations également, avant que le conseil de guerre, réuni le 4 juin, ne réentende chacun des protagonistes. Mais la plupart des témoins ne sont plus là, ayant quitté le secteur pour pendre la route de Verdun.
C’est donc sur leurs dépositions que va s’appuyer le conseil de guerre… autrement dit les mêmes pièces que celles par lesquelles les historiens peuvent aujourd’hui eux aussi chercher à comprendre les événements de la fin du mois de mai 1916.
Cette absence des témoins potentiels, à charge ou à décharge, donne à la procédure un caractère un peu exceptionnel, . Il apparait en revanche, à la lecture des pièces, qu’elle est en tous points comparable à de nombreuses autres affaires du même genre.
Un point est important ici : la réputation des soldats visés par l’enquête. C’est parce qu’ils sont notés comme étant de « mauvais soldats » qu’ils semblent s’attirer les foudres de leur hiérarchie, sans trouver personne pour prendre leur défense. Deux des six accusés ont en effet un casier judiciaire, ainsi que le note le commissaire-rapporteur auprès du conseil de guerre de la 21e DI dans son rapport au ministre de la Guerre en date du 6 juin 1916. Hénaff, le Finistérien, a déjà été condamné trois fois avant-guerre. Quant à Bernard, il est passé par les « bat. d’Af. » avant la guerre, et a été condamné par le conseil de guerre de la 21e DI quelques jours à peine après son arrivée à la division, début 1916. Tous sont décrits non seulement comme de « mauvais sujets », mais aussi comme « faisant bande à part », se retrouvant fréquemment alors même qu’ils appartiennent à des sections voire des compagnies différentes, ce qui ne vient qu’ajouter au sentiment que les incidents du 26-27 mai ne sont pas dus au hasard, mais ont été préparés.
Supposés « mauvais soldats », la plupart sont par ailleurs mal intégrés dans leur compagnie semble-t-il: un reproche qui revient fréquemment dans les procédures, et pas seulement dans le cas présent. Ceci s’explique pour une part par le fait que la plupart sont arrivés assez récemment au 64e RI. C’est le cas de Bernard,. Mais Juin déclare être « revenu à la compagnie il y a un mois » seulement. L’adjudant Chauvin, chef de section au 3e bataillon du 64e RI, insiste dans sa déposition sur le fait que « sauf Trique qui est depuis longtemps dans [sa] section, les autres venaient du 65e ou du bataillon de marche », que de ce fait il ne les connaissait « que depuis peu de temps ». Et même Trique, s’il est bien « au front depuis le début de la guerre », a cependant servi initialement pendant sept mois au 264e RI, le régiment de réserve du 64e. Dans l’ordre du régiment n° 156, le chef de corps du 64e RI évoque d’ailleurs explicitement « des éléments gangrénés, dangereux pour la discipline et le bon ordre, venus généralement d’autres corps, avec un passé chargé de fautes graves ». Ce sont ces éléments extérieurs qui auraient « essayé d’apporter des ferment d’indiscipline et peut-être de rébellion dans les rangs du 64e » ; et c’est « pour que la suspicion ne s’égare pas sur les honnêtes soldats », ayant donné ou étant prêts à donner des preuves de leur courage et de leur dévouement » qu’il est, selon l’officier supérieur, « nécessaire de démasquer les fauteurs de désordre et les meneurs de la bande ».
On n’a guère de détails sur le déroulement de la séance du conseil de guerre : Tout juste connait-on le verdict .Les 6 soldats sont déclarés coupables de révolte. Quatre des accusés, Hénaff, Bernard, Bertin et Juin, sont condamnés à mort
Parmi eux, figure le caporal Bertin, dont on dit qu’il « s’est bien conduit au début de la campagne » mais se serait « laissé gagner par de fâcheuses influences » : son grade de caporal, signe de sa bonne conduite au début de la guerre, joue visiblement contre lui dans le cas présent.
Les soldats Picaud de Trignac et Trique de Pannecé (Loire Inférieure) échappent à cette sentence de mort et sont condamnés à 10 ans de travaux forcés. Le second, agriculteur , se défend en déclarant : « je suis cultivateur, ce sont des ouvriers » ; « cela ne peut aller ensemble » conclut-il, révélant implicitement les fractures pouvant parcourir la société en réduction qu’est un régiment au front.
Joseph Picaud mourra d’ailleurs de maladie le 3 novembre 1917 au bagne de Douera, en Algérie, où il purge sa peine.
Quant à Jean Marie trique, il bénéficiera d’une remise de peine le 29 octobre 1920 avant d’être libéré.
Dans cette affaire, un autre soldat a échappé au peloton d’exécution : le soldat Alfred Cherhal, qui est après-coup venu se constituer prisonnier de lui-même. Il est considéré cependant comme « ayant d’assez bons antécédents et étant un soldat discipliné ». De ce fait, il « n’a pas été écroué avec les autres », ne paraissant « pas faire partie de cette bande ». Le fait d’avoir tiré « sans se rendre compte de ce qu’il faisait » est porté à son crédit. L’argument n’aurait pas valu pour les « mauvais sujets » jugés par le conseil de guerre.
On n’a que peu d’informations sur l’exécution qui a lieu le 5 juin à l’aube :. Un ordre du chef d’état-major du 10e corps d’armée – celui de Rennes –, présent dans le secteur de l’Argonne en ce mois de juin 1916, indique que « les quatre pelotons d’exécution seront fournis par les 136e, 2e, 25e et 47e RI, les quatre régiments de la 20e DI (Saint-Servan). Doivent par ailleurs assister à cette exécution un bataillon du 136e (Saint-Lô), deux compagnies du 25e (Cherbourg), un bataillon du 2e (Granville), un autre du 47e (Saint-Malo), enfin un bataillon du 41e et du 241e RI, deux régiments rennais appartenant à la 131e DI ». Seul « un détachement du 64e » est présent, afin de ne pas frapper encore plus les esprits des soldats du régiment.
Le caporal Joseph Bertin, domestique de ferme de Nozay (Loire-Inférieure), les soldats Guillaume Bernard de Pleyben (Finistère), ouvrier riveur à Brest, François Hénaff de Kerfeunteun (Finistère) et Armand Juin de Montoir (Loire-Inférieure), tous deux charpentiers, sont passés par les armes « en réparation du crime de Révolte sous les armes en réunion » à Sainte-Menehould, à 800 m au nord du quartier Valmy, à 6h30 ce 5 juin. Le médecin major de la division constate le décès et « certifie que chacun des quatre exécutés de ce matin… a reçu environ 10 à 12 balles qui ont traversé la poitrine de part en part et amené une mort immédiate »
Armand Théophile Juin et ses trois camarades sont enterrés au cimetière militaire de la nécropole nationale de Sainte Menehould, dans la Marne.
On retrouve sur son livret militaire mention de cette exécution. L’acte de décès est transmis à la mairie de Trignac le 17 mars 1917. Armand Juin avait 29 ans.
La tombe d'Armand Juin
Il fait partie maintenant des 825 fusillés entre 1914 et 1918, et reconnus officiellement par le Ministère de la Défense sur le site « Mémoire des Hommes ». Parmi ceux-ci, on répertorie 563 fusillés pour « désobéissance militaire », 136 fusillés pour « crimes et délits de droit commun » et 126 fusillés pour espionnage. Sur sa tombe et sur celle de ses trois camarades figure cependant la mention « Mort pour la France » Aurait-il, avec ses camarades, été réhabilité après la guerre ? Le mystère reste entier car les documents consultés n’apportent pas de réponse.
Un siècle après ce conflit, tout pousse à une campagne de réhabilitation collective de ces fusillés pour l’exemple, comme l’ont fait déjà de nombreux autres pays. Cette campagne n’a pas été réellement engagée au niveau présidentiel malgré des déclarations d’intention. Et pourtant, 5 conseils Régionaux, 32 conseils Départementaux, de nombreuses communes (dont Montoir de Bretagne) ont déjà apporté à ce jour leur soutien à cette campagne de réhabilitation.
Armand Juin
Au cours de la cérémonie du 11 novembre 2016, la commune de Montoir a honoré la mémoire d’Armand Juin, en présence de plusieurs membres de sa famille, dont un neveu, Armand Juin, et un petit neveu, Patrick Cario, accompagné de son épouse.
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