Etat du chargement des navires Nantais pour les Amériques
Une centaine de documents, le très grande majorité manuscrite, sur quelques épisodes impliquant des marins de Montoir et de sa région entre 1699 et 1761, a été remis au Musée de la Marine en bois du Brivet par la famille de Jean Louis Monvoisin, historien référent du Musée, enrichissant de façon notable le « Centre de Ressources Jean-Louis Monvoisin ». L’inventaire de ce dépôt a été effectué et les documents se trouvent disponibles sur place pour tous ceux qui seraient interressés.
C’est à partir de l’un des documents de ce fond qu’une courte analyse vous est proposée ci-après. Ce document manuscrit, dont le titre est « Extrait des registres du greffe de l’Amirauté de Nantes », fait un état du chargement des navires lors de leur sortie des ports de l’estuaire de le Loire » pour les Îles françaises de l’Amérique depuis le 18 novembre 1705 jusqu’au dernier jour d’octobre 1707″. Tous les navires cités qui furent « pris par les ennemis ». En dehors des marchandises, seul figure le nom et le tonnage du navire ainsi que le nom de son capitaine. En revanche, il n’y a aucune indication de la nationalité des marines ou navires ennemis en cause, ni des lieux d’arraisonnement, ni du sort des équipages.
Copie d’un des originaux du Centre de ressources Jean-Louis Monvoisin
Cet article fait une synthèse succincte des marchandises qui se trouvaient à bord des 23 navires saisis durant ces deux années allant de novembre 1705 à octobre 1707. Les navires concernés ont un tonnage qui varient de 80 à 300 tonneaux. Les îles et les ports de destination ne sont pas indiqués, ni le ou les destinataires des marchandises. La difficulté majeure pour se faire une bonne idée des volumes ou du poids transportés tient essentiellement à la diversité des unités de mesures, surtout pour les liquides, et des contenants allant de la barrique au panier en passantpar les ballots, balles, caisses, coffres, caisses. Par ailleurs, certains matériaux sont transportés sans conditionnement particulier comme les « 10 000 milliers d’ardoises« et les « 11 000 carreaux » et les « 16 000 livres de fer d’Espagne », ect.
Parmi l’ensemble des marchandises répertoriées, certaines se trouvent sur tous les navires en quantité fort variable, bien que les comparaisons ne soient pas toujours aisées car pour une même marchandise, les modes de conditionnement sont variés et les unités de mesures encore plus. Ce qui est néanmoins certain, dans toutes les listes se trouvent du boeuf soit d’Irlande (16 fois), soit sans précision d’origine (5 fois) et une fois, un chargement de langues de boeuf.
La farine, sans indiquer la céréale, à l’exception de « 1 barrique d’orge moude dans un sac », l’eau de vie ainsi que les chandelles se retrouvent dans chacune dans des cargaisons. Pour les chandelles, il est précisé quinze fois qu’elles sont en suif. Sur l’un des navires, Le Brillant, il est bien indiqué qu’en plus des 40 caisses de chandelles, 10 caisses contiennent des bougies. Sur L’Espérance de la paix, en plus des chandelles, seront embarqués 8 caisses de suif et de cire mêlés, matière première pour la fabrication des chandelles.
Les vins ne sont pas oubliés; deux régions dominent, Bordeaux ( 10 fois) suivies de l’Anjou (5). On trouve également 2 fois des vins nantais et d’Espagne et une fois des vins du Portugal et de Bourgogne. Des « marchandises sèches », parfois en quantité importante, sont présentes mais ne sont définies et détaillées. Elles figurent avec des modes de conditionnement et d’unités de mesures forts variés, ballots, balles, caisses, coffre, panier, barriques, pipes, quarts, tierçon.
A l’exception de quelques navires, certaines autres marchandises sont régulièrement chargées dans des « barriques en bottes » (18 fois). L’ensembles des prises « par les ennemis »représente 4 549 barriques. Les cercles et les feuillers de cercle qui se trouvent sur les 17 chargement permettent de les monter sur place et ainsi répondre aux besoins du raffinage du sucre dans les îles (cf. Duhamel Du Monceau Art de raffiner le sucre, 1764). L’osier chargé en paquet, en barrique, en botte, en torches figure 15 fois.
Les pièces de fer travaillés ou bruts, les clous, les ferrements font l’objet d’un total de 43 rubriques sur près de vingt navires. Dans un tout autre domaine, les barils de lard apparaissent 18 fois ainsi que des huiles d’origine variée, olive (6 fois), noix (4), poisson (1) et par deux fois, la nature de l’huile n’est pas précisée. On trouve également la mention de « 72 milliers d’huiles » sur « L’Espérance de la paix ». Par deux fois, en plus d’huile de noix déjà présente, sont également embarquées quatre barriques de noix et deux poinçons de noix. Parmi les autres produits alimentaires, se trouvent, pour un poids d’environ 21 600 livres, du beurre( 10 fois) dont trois fois l’origine est d’Irlande. De même 114 barriques de sel sur 8 navires partent pour les îles d’Amérique.
Une quinzaine de navires vont se chargés de toiles. Onze fois, il n’y a pas de précision sur le type, ni l’origine de ces toiles; en revanche pour d’autres, l’origine géographique est précisée: Laval( 6 fois), Rouen (3), Cholet ( 2 ), Montigny (1), Vitré (1). On trouve également des toiles par nature de matière: soie (4 fois), lin (3), chanvre ( 2), coutil (1), maillerie (1) ou d’usage: toile à doubler (1), de mercerie ( 1), toile rayée (1). Une seule toile associe sa nature et sa ville d’origine, le camelot d’Amiens.
La qualité de la vie familiale et sociale dans les colonies n’est pas oubliée. Pour la tables des colons et sans doute de certaines communautés religieuses, il est transporté 149 douzaines de pièces de faïence sur 9 navires, mais seulement deux fois, de la porcelaine tandis que les verres apparaissent 13 fois, avec certaines précisions, verres à boire (7), verres assortis (1), verres d’Orléans (1) et 4 fois sans précision. Figurent également sur cinq navires des bouteilles en verre, sur un autre 300 livres de verrerie. Quant au St Germain, il avait « 10 livres d’ouvrage de cristal ».
Afin de pouvoir mettre en place la transformation de certaines productions agricoles dont la canne à sucre, sont expédiées des chaudières à eau- de- vie avec chapeau et alambique de cuivre rouge, des bassins de cuivre jaune, etc.
Certains chargements comprennent parfois des fournitures insolites comme une caisse de hardes, voir cocasses pour les îles, des chapeaux de castor.
Quand au fusils boucaniers embarqués sur onze navires, leur nombre, six, est fixé dans le « Congé pour les vaisseaux qui vont aux isles & autres colonies » par « le Lieutenant-Général du Roy en sa province de Bretagne ». Chaque navire doit posséder ce document avant d’appareiller.
Sans recherches complémentaires, ces quelques informations ne permettent pas de tirer des conclusions générales sur le commerce entre Nantes et les Îles d’Amérique, ni sur les ressources des îles au début du XVIIIe siècle. Néanmoins, elles attirent l’attention sur plusieurs points:
-le commerce entre la France et l’Irlande pour la fourniture de boeuf et de beurre en grande quantité et l’importance de cabotage sur les côtes françaises;
-la diversité des lieux de fourniture des toiles et tissus en France;
-pour répondre aux besoins d’une partie de la population des îles, le nécessité d’expédier régulièrement pour la vie quotidienne, de la viande, de la farine, du vin, de l’eau-de-vie, du sel, des chandelles, des matières sèches; bien entendu, de façon plus ponctuelle, du matériel de cuisine, de l’art de la tables et quelques pièces d’habillement manufacturé;
-pour satisfaire les besoins de l’artisanat, des sucreries, l’envoi de fer sous des formes diverses dont des clous, la fourniture de tonneaux non assemblés, ainsi que de l’osier. Les appareils de distillation et leurs matériels annexes viennent de France. Il n’y a aucune production de métaux sur les îles.
Parmi les vint-trois inventaires, trois exemples de chargement:
Une partie du chargement du Saint Germain, n’est pas commune et ne se retrouve pas sur les autres navires. Quant aux deux autres exemples, Le Joly et Le Solide, ils sont plus représentatifs des marchandises habituellement embarquées.
18 novembre 1705- Le Saint Germain, 180 tonneaux, capitaine Patrice Lincol
12 ballots de toile de chanvre pesant environ 3 000 livres- 1 barrique de toile de Cholet, la dite toile pesant environ 200 livres- 1 pipe, 24 barriques, 3 ballots, 3 quarts, 2 ancres et 2 caisses de toiles de mercerie pesant ensemble 1 130 livres- 1 tonneau, 2 coffres contenant500 livres de quincaille de fer- 1 plat, 6 cuillères, 6 fourchettes de cuivre argenté- 26 paires de jarretièresen soie- 12 livres de drogueries- 200 livres de mercerie et quincaillerie- 9 marcs, 3 onces, 4 gros d’argenterie non armorié- 2 barriques de verres à boire- 4 douzaines de poêles de fer- 24 caisses de chandelles de suif; 2 futailles contenant 7 douzaines de faïence, 4 livres de porcelaine, 10 livres d’ouvrage de cristal, 60 livres de cuivre ouvré, 126 livres de tiretaine, 60 livres de toile à doubler, 4 livres de chapelets, 1 livre et 6 once de rubans de soie, le tout acquis à caution de Saumur et de Montaigu; 24 livres de fruits cuits- 494 barils de bœufs d’Irlande, 40 barils de lard- 10 barriques de sel- 5 ancres d’huile de poisson pesant 1050 livres- 100 barils de beurre d’Irlande pesants 7152 livres- 60 quarts de farine- 40 barriques de vin de Bordeaux- 10 quarts et 22 ancres d’eau-de-vie; 23 futailles de terre à faire sucre- 105 barriques en bottes- 300 autres barriques en bottes- 7 barriques contenant 200 torches d’osier- 100 livres de fil de caret- 10 quarts de clous- 16 fournitures de cercles- 1 barque et pagalles avec ses ustensiles et bordages, victuailles, armes et munitions de guerre et de bouche.
14 mai 1706- Le Joly, environ 80 tonneaux, capitaine Claude Dubois
297 barils de boeuf d’Irlande- 3 200 livres de lard- 4 barriques, 40 quarts de farine- 15 barriques de vin du Portugal- 260 barriques en bottes- 200 paquets d’osier- 1 300 livres de clous de fer- 350 livres de ferrements- 30 paquets de cercles- 220 chandelles de suif- 4 quarts de marchandises sèches pesant 750 livres -6 fusils boucaniers.
9 juillet- Le Solide, environs 160 tonneaux, capitaine Jullien Guineau dit Lacaut
400 barils de boeuf, 50 barils de lard pesant 9 000 livres – 1104 livres de boeuf d’Irlande; 104 quarts, 27 demi d’eau-de-vie – 22 demi-quarts de vin d’Espagne- 104 barils de farine; 5 583 livres de fer- 2 800 livres de clous et ferrements- 654 boulets de fer pesant 17 058 livres- 36 meules à aiguiser- 500planches de sapin- 6 barils de goudron- 30 fournitures de cercles- 200 paquets d’osier; 800 barriques de verres à boire pesant 900 livres-6 barriques de bouteilles de verres contenant 35 douzaines-3 barriques de faïence contenant 12 douzaines; 2 chaudières à eau-de-vie- 2 chapeaux et alambics- 4 becs de corbin- 6 cuillers- 6 écumoirs-6 bassins- 12 grages pesant 584 livres; 1 200 livres de papier- 1 588 livres de chandelles de suif- 5 928 livres de marchandises sèches en ballots, 2 barriques; 6 fusils boucaniers- 200 barriques de vin nantais et autres provisions nécessaires. 8 ballots de toile de Rouen pesant 1 200 livres- 3 ballots de toile de Laval pesant 150 livres- 1 ballots de toile pesant 200 livres.
Petit lexique:
Ancre: mesure utilisée pour les liquides comme le vin, l’eau- de- vie ou l’huile dans les ports de la Baltique.
Camelot d’Amiens: étoffe légère de laine sèche.
Fil de carret: fil de chanvre dont les brins sont réunis par tortillement, formant la base d’un cordage.
Grage: espèce de râpe dont les Insulaires se servent pour mettre leur leur manioc en farine (dictionnaire de Trévoux, XVIIIe siècle).
Maillerie: Il s’agit peut-être d’une toile de batiste.
Marc: =8 onces =64 gros = 4608 grains; valeur environ 250 gr.
Millier: Il peut s’agir de l’unité de poids correspondant à 1 livre.
Osier: » L’osier sert aux tonneliers à joindre les deux bouts des cerceaux dont ils relient les futailles & autres ouvrages de tonnellerie » Dictionnaire universel du commerce, 1748.
Pagalle: nom donné parfois aux pagaies (cf. Jean-Baptiste Labat-Nouveau voyage aux Îles françaises de l’Amérique, 1722).
Pipe: en Bretagne, la pipe est une mesure des choses sèches, particulièrement les grains, les légumes & autres semblables denrées; la pipe contient 10 charges, chaque charges composée de quatre boisseaux: ce qui fait quarante boisseaux par pipe; elle doit peser six cent livres, lorsqu’elle est pleine de blé.
Poinçon: mesure de capacité pour les liquides et les pondéreux. Selon les provinces, il correspondait à une contenance variant de 220 à 250 litres.
Quart d’une unité non définie.
Terre à sucre: les raffineurs de sucre emploient une terre blanche qui est tirée de Rouen ou de Saumur (d’après Duhamel Du Monceau, Art de raffiner le sucre, 1794).
Tiretaine: drap grossier fait à partir de laine, de lin et de coton.
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