L'évasion du cuirassé Jean-Bart
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Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Malgré la résistance des troupes alliées, l’avance allemande est inexorable. Le concept du « Blitzkrieg », la « guerre-éclair », avec un rôle nouveau dévolu aux blindés, et superbement ignoré par l’Etat-Major français, porte ses fruits. On attend sur la ligne Maginot un ennemi qui opère une percée entre Sedan et Dinant, dans les Ardennes belges.
Après le rembarquement allié à Dunkerque, l’offensive reprend de plus belle vers le sud. Les allemands entrent dans Paris, déclarée ville ouverte, le 14 juin. Le gouvernement qui avait quitté la capitale pour Tours le 10 juin, prend la direction du sud et rejoint Bordeaux.
C’est l’exode. Un flot de réfugiés envahit les routes, Hollandais, Belges, Français du Nord. Ce n’est plus du tout une évacuation organisée comme en septembre 1939. Ils sont 8 à 9 millions sur les routes de France. Beaucoup se dirigent vers Saint-Nazaire, où il faut leur trouver un hébergement d’urgence.
D’autres encore espèrent rembarquer avec les troupes anglaises, polonaises, tchécoslovaques qui, à partie du 15 juin, refluent vers le port. A Saint-Nazaire doivent s’embarquer 15 000 britanniques du corps expéditionnaire, les personnels des dépôts et hôpitaux de la région ainsi que des soldats venant du Nord et de l’Est.
Le lundi 17 juin, les Allemands sont à Rennes. Ils s’approchent de Brest, de Nantes et de Saint-Nazaire. A 12h30, le maréchal Pétain prononce son discours aux Français : « C’est le cœur serré que je vous dis dès aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ». L’armistice sera signé avec l’Allemagne cinq jours plus tard.
Une course contre la montre va s’engager avec comme enjeu la prise du cuirassé « Jean Bart », 248 m, 35 000 tonnes, dont la construction, commencée le 12 décembre 1936, est loin d’être achevée. Il était prévu qu’il quitte Saint-Nazaire à la fin de 1940.
Pour le commandant Ronar’ch, chargé de suivre les travaux d’achèvement du navire, il faut absolument faire sortir le navire au plus tôt et l’éloigner de la zone des combats. Mais le problème est complexe car le navire, a été construit dans un ouvrage spécial, une forme de construction où on a procédé à sa mise en eau les 5 et 6 mars 1940, en lui faisant effectuer une translation vers le bassin où il sera achevé. Un bateau-porte lui permet d’accéder à l’estuaire, mais pour cela il faut creuser un chenal dans plusieurs centaines de mètres de hauts-fonds, ce qui prendra du temps .
Pendant un mois, 3500 ouvriers travaillent d’arrache- pied afin de permettre le départ du navire en installant un équipement minimum.
Le départ est initialement fixé au 20 juin, à l’heure de la marée haute (fort coefficient d’équinoxe), mais les nouvelles sont de plus en plus alarmantes, l’ennemi se rapproche de Saint-Nazaire. Le mardi 18 juin au matin, le Contre-Amiral Rioult, commandant la marine à Saint-Nazaire, demande à Ronarc’h de se tenir prêt à appareiller en direction de Casablanca. Mais compte tenu de la situation, le départ ne pourra se faire que le 19 à la marée de 3 heures du matin. Quant au dragage, on se contentera d’une tranchée de 45 mètres de large, ce qui est peu pour un navire de 33 mètres de large.
En début d’après-midi, Ronarc’h prend contact avec les patrons des remorqueurs havrais Minotaure, Titan et Ursus, ainsi que ceux d’autres petits remorqueurs nazairiens qui vont accompagner le Jean Bart dans sa sortie.
Au même moment, dans l’estuaire, se joue le drame du Lancastria
Toute la journée règne une grande effervescence, Les travaux se poursuivent sans relâche, et bien qu’on veuille demeurer le plus discret possible, tout le monde sent bien que le départ est proche. On embarque des vivres, les marins sont consignés à bord. 150 civils, cadres et ouvriers des chantiers, se préparent à embarquer, dont Monsieur André Tilly, contremaitre électricien.
« Mon mari est rentré déjeuner, puis il m’a dit : « Prépare- moi des bleus neufs, je pars avec le Jean Bart ». Il m’a remis son alliance, sa montre et ses papiers en disant « Je ne sais pas si je reviendrai, fais attention aux enfants. ». ((1)
Le bruit court que les troupes allemandes sont entrées à Nantes.
Vers 14h30, les veilleurs du navire, d’où la vue embrasse plus de 20 km, signalent une colonne motorisée entre Montoir et Saint-Nazaire. Les fusiliers marins chargés de la défense du Jean Bart se déploient autour du navire, qui hisse ses couleurs pour la première fois à 15h30…Paradoxe : pendant que des ouvriers continuent de travailler sur le navire, d’autres se tiennent prêts à le saborder au cas où… Fausse alerte ! La colonne est anglaise.
On ouvre le sas du bassin vers 18h30, la porte ayant été ouverte une heure plus tôt. Les derniers préparatifs ont lieu à bord du navire, le chenal de sortie est balisé. Le navire se prépare à être autonome, non sans mal car de nombreux problèmes, électriques en particulier, surviennent à bord.
Le 19 juin à 1h35 du matin, le Contre-Amiral Rioult ordonne de faire sauter le pont de Méan, qui permet l’entrée directe à Saint-Nazaire, des motocyclistes allemands ayant été signalés vers Saint-Nicolas de Redon.
A 2h30, la tranchée est évacuée par la drague et ses annexes, et Ronarc’h monte sur la passerelle pour diriger l’appareillage. A ses côtés se trouve Charles Lorec, le meilleur pilote du port.
Ronarc’h lui dit : « Je ne veux aucun feu, aucune bouée lumineuse, rien ! »
Lorec se révolte : « C’est impossible, commandant, nous allons nous échouer ! »
Mais Ronarc’h reste implacable : « Je ne veux pas encourir le risque d’un bombardement sur Saint-Nazaire. Nous sortirons sans un seul feu et… nous sortirons ! »
A 3h20, les remorqueurs havrais s’attellent au navire, L’Ursus et le Titan à la proue, le Minotaure à la poupe. La flottille des remorqueurs nazairiens, comprenant les Hoedic, Glazic, Pornic, Piriac Marie-Léontine, se tient prête à intervenir. Les machines du Jean Bart tournent et la manœuvre de sortie commence, dans des conditions très difficiles. Le pilote Lorec n’ose croire à la réussite de l’entreprise. Il ne dispose, de chaque côté du navire, que d’une marge de 5 m, et bien que la marée soit haute, il n’y a par endroits que 20 cm d’eau sous la quille. Le pilote, dans la nuit, distingue à peine les bouées blanches qui ne sont pas éclairées. Et le Jean Bart s’échoue par l’avant sur la gauche, tandis que l’arrière repose sur la berge ouest du chenal.
Les remorqueurs nazairiens interviennent, et au bout de trois quarts d’heure, réussissent à dégager le navire. Il atteint le chenal de la Loire aux premières lueurs de l’aube et à 4h30, il descend l’estuaire à la vitesse de 4 nœuds.
Emile Jules Allain, officier mécanicien, est à bord du Pornic, placé à l’arrière du cuirassé pour aider à la manœuvre de remise à flot. Au moment où le Jean Bart, une fois délivré, va prendre de la vitesse, sur ordre, les remorqueurs larguent les amarres. Mais le Pornic est toujours en remorque, soit les ordres n’ont pas été transmis, soit un incident n’a pas permis de libérer l’aussière du crochet de remorquage. Le Jean Bart prenant de plus en plus de vitesse entraine derrière lui le remorqueur qui commence à dangereusement prendre de la gîte. L’arceau de sécurité arrière est déjà dans l’eau qui commence à descendre dans la machine. C’est alors qu’un des marins du remorqueur a le réflexe de prendre la hache de sécurité située sur la plage arrière et de couper l’aussière. Le remorqueur fait une embardée brutale en sens inverse puis se stabilise. Il n’y aura, apparemment, aucun blessé, mais sans doute une grande frayeur pour l’ensemble de l’équipage. Emile J. Allain, excellent nageur, chose rare à l’époque, s’est vu mourir noyé dans sa machine. (2) .
Sans la présence d’esprit de ce marin, le remorqueur aurait vraisemblablement coulé, et l’opération « évasion » aurait été fortement compromise, voire ratée.
A 4h40, surgissent trois bombardiers allemands Heinkel 111 qui larguent à plusieurs reprises des bombes, qui explosent au contact de l’eau. L’une d’entre elles tombe sur le pont du navire, n’occasionnant que de faibles dégâts matériels.
A 4h50, le Jean Bart largue ses remorqueurs et poursuit sa route dans le chenal. Le navire double à courte distance, par le sud, l’épave du Lancastria dont une partie de la poupe se dresse encore vers le ciel. Tout l’équipage a une pieuse pensée pour les malheureux qui ont été engloutis avec lui. On ignore encore à ce moment l’ampleur des pertes humaines. Avant de quitter le navire, le pilote Lorec et Ronarc’h se serrent longuement la main. Ce dernier remercie chaleureusement le pilote de l’avoir si bien guidé dans un chenal qu’il connaissait si peu. Avant de monter à bord d’un remorqueur, Lorec demande : « Vous allez faire le point, maintenant ?
-Le point ? Mais nous n’avons pas de compas, mon vieux ! » répond Ronarc’h.
Escorté par les torpilleurs Mameluk et Hardi et par une partie des remorqueurs, sans qu’on sache précisément lesquels l’ont assisté (3), le Jean Bart est ravitaillé dans la matinée par le pétrolier Tarn. Il rejoindra Casablanca avec 1200 hommes à bord, non sans quelques pannes, le 22 juin vers 17h. IL a réussi à échapper aux Allemands. Les ouvriers embarqués à bord seront rapatriés quelques mois plus tard.
Mais le Jean Bart ne regagnera la France qu’après la Libération en 1945
Ce même 19 juin, Saint-Nazaire est déclarée « ville ouverte ». Les Nazairiens peuvent lire l’annonce signée par François Blancho, et placardée sur les murs de la ville.
L’avant-garde des troupes allemandes entre dans la ville le 21 juin. Albert Le Perron, militant ouvrier, évoque ses souvenirs « On s’attendait à l’entrée imminente des troupes allemandes, quand, tout à coup, venant de la vieille gare on vit des motos et des jeeps allemandes se mettre à tourner autour de la place Marceau et partir dans les rues de Saint-Nazaire. La plupart des gens rentraient dans leurs maisons. »
Le gros des troupes quant à lui pénètre dans la ville le 22 à 11h15, venant du Nord et du Nord- Ouest, probablement en passant par Trignac, faute d’avoir pu emprunter le pont de Méan détruit
C’est le début pour Saint-Nazaire de cinq longues années d’occupation ponctuées d’autres évènements et drames qui verront leur terme le 11 mai 1945, jour de la libération de la Poche de Saint-Nazaire, qui sera la dernière ville libérée de France.
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