L'hortensia en Bretagne
En 2016, l’Institut culturel de Bretagne souhaite que la Bretagne soit représentée par une plante symbole. Après une consultation ouverte, l’ajonc est plébiscité, mais viennent juste derrière la bruyère et l’hortensia. Si les deux premières sont des plantes indigènes, l’hortensia est exotique, originaire du Japon. Introduit en Europe dans les dernières années du XVIIIe siècle pourquoi, comment, pour qui, l’hortensia est-il devenu une plante qui puisse être représentative de la Bretagne ?
L’hortensia et son arrivée en Europe
En Europe, comme en France, la connaissance de l’hortensia se fera progressivement grâce au Français Philibert Commerson qui est le premier botaniste à décrire la plante. Il la découvre lors d’une prospection botanique sur l’île de la Réunion et prélève un échantillon dans « des jardins de Bourbon en avril & mai 1771 ». Cette plante, mal connue du monde des botanistes, avait été introduite du Japon par un Hollandais au cours du XVIIIe siècle.
Son arrivée en Europe : la seule certitude est que Joseph Banks (1743 -1820), directeur du futur jardin botanique royal de Kew, présente début 1789 un hortensia en tant que plante vivante et en 1803, ce pied fleurit avec plus de 80 fleurs. L’origine anglaise des pieds qui arriveront dès 1792 en France et dans une partie de l’Europe est confirmée par divers documents.
L’hortensia en Bretagne
En Bretagne, le premier enregistrement connu de l’existence de l’hortensia est celui du Jardin botanique de la marine à Brest. Antoine Laurent, responsable dudit jardin, dans son catalogue des plantes publié en 1809, indique qu’il possède comme plantes vivantes dans ses collections Hortense et Hydrangée. Il s’agit donc de l’hortensia et d’un Hydrangea sp., sans doute Hydrangea arborescens originaire d’Amérique du Nord que lui avait fait parvenir quelques années plus tôt, André Thouin professeur au Jardin des plantes de Paris.
La question de l’origine de cet hortensia reste entière car il ne semble pas qu’il y ait eu d’envoi d’un pied d’hortensia par Muséum de Paris. Comme aucune date n’est connue pour son entrée réelle en collection à Brest, il n’est pas absurde de penser que le premier pied ait pu être rapporté par un officier de la Royale de retour de l’océan Indien.
La première diffusion de l’hortensia en Bretagne fut sans nul doute restreinte et liée à l’intérêt qu’une partie de l’aristocratie terrienne lui portait. De multiplication aisée par bouture, des exemplaires auront été introduits dès la fin du XVIIIe siècle dans certaines propriétés privées d’armateurs ou d’officiers de la Marine qui avaient parcouru les océans. Au début du XIXe siècle, la diffusion reste peu importante et l’hortensia orne les abords d’un certain nombre de châteaux et manoirs de la pointe finistérienne. Il faut attendre les années 1850 pour trouver quelques écrits faisant part de l’existence ici et là d’hortensias
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’arrivée du chemin de fer et le développement des stations balnéaires sur les côtes bretonnes occupées durant la saison estivale par une partie de la grande bourgeoisie des villes, vont modifier progressivement les paysages. Dans les jardins d’ornement qui sont alors créés autour des villas, l’hortensia trouve sa place grâce en partie aux paysagistes parisiens qui vont exercer leurs talents en Bretagne ou en Normandie. Non seulement, ils citent dans leurs écrits l’hortensia pour orner les jardins, mais le recommandent pour agrémenter ceux proches du bord de mer. Le paysagiste français Edouard André, dans son ouvrage paru en 1879, cite l’hortensia « parmi les beaux arbres et arbustes dont j’ai relevé la nomenclature pendant mes excursions dans les jardins du littoral breton et des îles de la Manche ». Il n’est pas à l’origine de ces plantations des parcs des châteaux et manoirs qu’il visite, il les remarque, en apprécie les qualités esthétiques et paysagères et en recommande la plantation. On peut supposer que lors de ses interventions en Bretagne, entre 1880 et 1913, pour concevoir ou rénover un certain nombre de parcs – une douzaine sur les cinq départements bretons -il recommandera des hortensias.
Quelques décennies plus tard, divers autres paysagistes parisiens préconisent l’hortensia pour les jardins des nouvelles villas qui s’implantent sur la côte bretonne. André Véra est sans équivoque en 1912 lorsqu’il indique « dans certain endroit de Bretagne, vous emploierez les Camélias et les Hortensias bleus ; » car ainsi « de la seule présence de cette flore locale, le Jardin acquerra un style incontestable. » Il est nécessaire néanmoins de remarquer que les deux genres cités sont exotiques ; tous deux originaires d’Extrême-Orient, ils ont donc changé de statut, puisqu’ils sont considérés comme des plantes indigènes, appartenant à la flore de la Bretagne !
Mais, a contrario, les ouvrages décrivant la Bretagne ainsi que les guides touristiques de l’entre-deux guerres, ne citent pas l’hortensia comme plante caractéristique des jardins et encore moins du grand paysage, comme le sont les pins ou cyprès de Lambert, deux conifères introduits au cours du XIXe siècle.
Mais qu’en est-il dans les bourgs, villages et hameaux du centre Bretagne, de tous ces lieux qui ne se trouvent pas sur le chemin des stations balnéaires ? Nous sommes encore très loin d’une présence de l’hortensia dans les campagnes bretonnes. La percolation vers l’habitat vernaculaire est très lente et se fera dans la seconde moitié du XXe siècle, c’est-à-dire après la Seconde guerre mondiale. En 1950, le journal hebdomadaire Rustica qui lance conjointement avec le Touring Club de France, la Ligue urbaine & rurale et la Fédération des horticulteurs français, le concours des maisons fleuries afin de « rendre plus agréable au touriste qui passe, ou séjourne, l’aspect général de la cité ». L’amélioration visuelle n’est donc pas pour celui qui vit toute l’année, mais bien pour un touriste de passage. Parmi les plantes qui sont préconisées figure l’hortensia car « les variétés d’Hortensias mises dans le commerce depuis peu d’années, placées à mi-ombre, permettent de garnir pendant tout l’été des soubassements de maisons et des à-côtés de perrons. » Ces recommandations sont nationales et les végétaux cités ne sont pas vraiment régionaux. L’avantage de l’hortensia réside dans sa pérennité d’une année sur l’autre et dans sa facilité de multiplication par boutures au printemps, par marcottes ou rejetons. C’est un atout certain pour une diffusion aisée de proche en proche, de voisin à voisin.
Le changement de statut de l’hortensia
L’hortensia est resté pendant des décennies une plante de jardin, de bourgs et de villages avant une appropriation mentale essentiellement dans le dernier demi-siècle portée par un courant touristique amplifié par des supports promotionnels, la photographie et la carte postale couleur. L’hortensia va changer de statut. En fleur durant la belle saison, la saison touristique, les grosses ombelles colorées, nombreuses, nuancées, aux couleurs chaudes et froides, non agressives, font faire la joie des photographes surtout pour les premiers plans, laissant une vue, un monument, une chaumière se détacher en arrière-plan. En noir et blanc, l’hortensia ne laisse pas percer la subtilité de ses nombreuses fleurs réunies en ombelles globuleuses.
Parmi les images véhiculées sur la Bretagne, se trouvent celles des cartes postales couleur à partir des années 1970 avec des commentaires comme, « couleurs de Bretagne, maisons aux hortensias », « maisons fleurs d’hortensias en Bretagne », ou « La Bretagne pittoresque, vieille chaumière typique », etc. sans parler des longères au toit de chaume dont quelques ombelles fleuries d’hortensias ornent la façade principale. Véritable image d’Epinal d’une Bretagne et des Bretons, pittoresques, voire muséifiés pour le plaisir des touristes.
L’hortensia n’est une plante caractéristique ni des villes, ni de la campagne, ce que semble confirmer l’image transmise par des blogs récents (2017 dont les auteurs prétendent sans retenue que « pour retrouver la magie des maisons qui longent les côtes bretonnes, il faut commencer par s’entourer d’hortensias. » !
Une analyse fine des documents de promotion touristique en couleur à partir des années 1975-80 et des photos associées seraient à effectuer afin de mieux apprécier l’impact sur le public de l’hortensia. Quelle aubaine cette plante en fleur tout l’été !
Si chacun des départements de la Bretagne administrative possède un ou plusieurs lieux ou manifestations associées à la plante ou portant son nom, il semble que la plus ancienne n’ait été créée qu’en 1984 avec La cité des Hortensias à Perros-Guirec (Côtes-d’Armor). D’autres suivront Le circuit des hortensias à Ploërmel (Morbihan) en 1997, Terre d’Hortensias au Folgoët (Finistère) en 1998, Le festival de l’Hortensia à Mahalon (Finistère) en 2003.
Ainsi et malgré lui, l’hortensia dès qu’il fut approprié comme élément d’une image touristique et identitaire d’une certaine Bretagne, a vraisemblablement participé à ce que redoutait vers 1930 le peintre, sculpteur René-Yves Creston, la création d’ « une Bretagne à l’eau de rose pour touristes parisiens ».
L’hortensia, plante d’une certaine Bretagne
Ce survol rapide montre toute la part d’ambiguïté portée par l’hortensia dans sa relation avec la Bretagne. Il faut également souligner que la question ne se pose pas dans d’autres régions que ce soit en Normandie, en Anjou ou en Flandre ; Dans ces autres régions, l’hortensia comme beaucoup d’autres plantes exotiques, n’a pas pris de place particulière dans le paysage mental et touristique ou dans l’espace culturel de ces régions.
L’hortensia est lié à la partie bâtie du parc et du jardin, comme accompagnement de la pierre, – granite, schiste, gneiss, ardoise – qu’il révèle, qu’il réveille en mettant en valeur le côté austère des minéraux. Il s’associe à la pierre, celle extraite sur place et qui donne cette spécificité architecturale et esthétique à chacun des pays bretons. L’hortensia semble avoir cette capacité de pleinement s’intégrer à l’essence même du territoire dans une forme de discrétion. Sa forme naturelle en boule, formant une sphère, occupe un volume aux contours harmonieux, non agressifs porteurs de douceur. Par leurs caractères complémentaires, plante et pierre sont en harmonie. Avec des variations subtiles, la couleur des inflorescences ne capte pas toute l’attention, ne tue pas les autres taches colorées du bâti, mais en exacerbent les nuances, sans uniformiser la perception et donner une lecture unique à l’association pierre-hortensia. Une relation particulière a émergé dès le XIXe siècle, et a perduré en passant du manoir à l’habitat vernaculaire traditionnel. L’hortensia, venu d’ailleurs, qui avait trouvé une place, sa place en réveillant les pierres, se trouve actuellement en grande partie éteint par ce style néo-breton avec une couleur blanche dominante qui a submergé et détruit la diversité des volumes et des matériaux traditionnels. Sans égard pour le cadre dans lequel elles sont implantées, ces nouvelles habitations sont mal insérées dans le paysage, détruisent la diversité des habitats bretons et rendent parfois incongru la maison traditionnelle d’origine. Ainsi disparait cette maison vernaculaire qu’un guide touristique des années 1930 décrivait comme : « faite de blocs de granite empilés, la ferme bretonne, à porte basse, à fenêtres petites et peu nombreuses, est d’apparence pauvre et hostile. »
Si la place de l’hortensia dans le paysage n’est pas évidente, il a peut-être su en trouver une dans ce monde complexe du patrimoine culturel breton. Selon certains ethnobotanistes les rythmes du végétal contribuent à ordonner les nôtres. Les cycles calendaires, saisonniers, déterminent un “agenda social” précis, structuré. Or, non seulement l’hortensia n’a jamais vraiment appartenu à ce monde des paysans, mais il n’accompagne aucun des grands cycles agraires et des fêtes associées, ni celui du renouvellement des saisons, pas même celui de l’arrivée des estivants ! Indépendamment de cette absence dans les cycles des activités humaines, bien qu’introduit depuis plus de deux siècles, le mot hortensia ne fut jamais bretonnisé, si ce n’est relativement récemment sans relation avec un socle culturel ancien. De plus l’hortensia n’est pas dans la mémoire des anciens et aucun nom de lieux traditionnels en breton n’a pour origine son nom. L’hortensia ne semble pas posséder de véritable pouvoir patrimonial culturel qui lui ferait non seulement oublier son origine exotique mais entrer dans le panthéon des végétaux porteurs de l’imaginaire et de la réalité d’une région.
L’hortensia n’est pas devenu une plante patrimoniale, une plante qui puisse être présente d’elle-même en dépit des modes végétales ou de ceux de l’art des jardins.
En Bretagne, l’hortensia n’est pas une plante représentative d’un mode de distinction du territoire, il est une image de la Bretagne, une image essentiellement touristique, parfois devenue obsolète. Si l’hortensia est ou fut l’un des symboles de la Bretagne ou d’une Bretagne, ce n’est pas pour autant une plante symbolique des Bretons, de la culture bretonne, de sa langue, porteuse de valeur, de culture pour sa société actuelle ou future.
Néanmoins, l’hortensia continuera de croître en terre bretonne car il a trouvé un climat et un sol qui lui sont encore favorables, qu’il possède de nombreuses qualités agronomiques et esthétiques et que des passionnés poursuivront sa présentation, sa promotion, sa diffusion. L’hortensia, breton ou non, appartient à ces plantes faites pour éclairer la pierre, pour donner de la couleur à la mélancolie, pour colorer le vert estival omniprésent des autres arbres et arbustes.
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