Emile Jules Allain : la petite histoire dans la grande
Un incident lors de la sortie du cuirassé Jean-Bart le 19 juin 1940
Il s’agit d’un souvenir de famille que mon grand-père paternel m’a raconté. Mon grand-père, Emile Jules Allain (né et mort à Rezé, 1891 -1974) fit toute sa carrière comme marin. Le 9 mai 1904, il est enregistré, comme inscrit maritime provisoire. Il est alors âgé de 12 ans et demi et a son certificat d’études en poche. A 18 ans, il est enregistré comme Inscrit maritime définitif. Lors de son service militaire, dans la marine à Brest, il obtient son Brevet d’officier mécanicien de seconde classe de la Marine marchande le 24 janvier 1914.
Emile Jules Allain
A compter de cette date, ses séjours à terre seront peu nombreux avec des voyages au long cours, au cabotage international et au cabotage. Lorsqu’il n’est pas en haute mer, il est sur l’un des remorqueurs de l’Union des remorqueurs de l’océan (URO) du port de Saint-Nazaire, comme chef mécanicien. Le dernier débarquement figurant sur son Livret professionnel maritime est le 30 juillet 1958, à l’âge de 67 ans, soit 55 ans après son premier embarquement ! Bien qu’évoquant fort rarement ses voyages et encore moins les anecdotes, incidents, histoires diverses, il lui arrivait d’en parler alors que, durant les vacances scolaires à Saint-Nazaire, je l’accompagnais jusqu’à son remorqueur.
Emile Jules Allain devant son remorqueur à Saint Nazaire
Parmi les quelques anecdotes de sa vie de marin, celle de la sortie du Jean Bart dans la nuit du 19 juin 1940 alors qu’il était comme chef mécanicien à bord du remorqueur Pornic.
Il ne s’agit pas ici de raconter l’épopée de ce cuirassé, mais seulement ce qu’a vécu l’équipage de l’un des remorqueurs au moment de cette sortie précipitée de Saint-Nazaire. Parmi les remorqueurs ayant participé à l’opération, on trouve 3 remorqueurs du Havre et 4 de Saint-Nazaire, Hoedic, Glazic, Pornic, Piriac.
Le remorqueur Croisic dans le port de Saint Nazaire
Sans pouvoir préciser le moment où il prit la remorque, le Pornic était placé derrière pour aider à la manœuvre, et a participé à l’opération de ‘remise à flot’ du Jean Bart. Dans une tranchée creusée spécialement et rapidement pour permettre la sortie du cuirassé, balisée de petites bouées à peine visibles, le Jean Bart s’échoue par l’avant sur la gauche, tandis que l’arrière reposait sur la berge ouest. Après trois quarts d’heure d’efforts, les remorqueurs réussissent à le dégager, et le cuirassé atteint le chenal de la Loire aux premières heures de l’aube.
Evasion du Jean Bart- Pierre Guillou- Pilote de Loire. Geste éditions
Si les ordres sont bien parvenus aux autres remorqueurs, au moment où le Jean Bart va prendre de la vitesse pour échapper à la menace aérienne allemande, le Pornic est toujours en remorque à l’arrière. Les causes du non largage de l’amarre ne sont pas connues, soit les ordres n’ont pas été entendus, soit parvenus trop tardivement, soit un incident n’a pas permis de libérer l’aussière du crochet de remorquage. Le Jean Bart en prenant de plus en plus de vitesse, entraîne derrière lui le remorqueur qui se met en travers et commence à dangereusement prendre de la gîte. L’arceau de sécurité arrière est déjà dans l’eau et cette dernière commence à descendre dans la machine. C’est alors que l’un des marins du remorqueur a le réflexe de prendre la hache de sécurité située sur la plage arrière et de couper l’aussière. Le remorqueur fait une embardée brutale en sens inverse, puis se stabilise. Il n’y aura, apparemment, aucun blessé, mais sans doute une grande frayeur pour l’ensemble de l’équipage. Mon grand-père, par ailleurs chose assez rare à l’époque chez un marin, excellent nageur, s’est vu mourir noyé dans sa machine.
Bien des hypothèses peuvent être échafaudées, mais sans cette opération de rupture brutale de l’aussière, le remorqueur aurait vraisemblablement coulé et l’opération ‘évasion’ peut-être échouée ou du moins été fortement compromise.
Comme d’autres remorqueurs, le Pornic accompagne le Jean-Bart dans une petite partie de son périple, rejoint Bordeaux et ce n’est que le 30 août 1940, que le Pornic regagne Saint-Nazaire. L’incident ne fera l’objet d’aucun rapport et disparaitra avec les hommes qui l’avaient vécu.
Avers et revers de plaque d’inscrit maritime portée par Emile Jules Allain
Carte professionnelle de libre circulation
et livret professionnel maritime d’Emile Jules Allain.
Sur les mers et océans,un ancêtre du conteneur, le tonneau.
L’exposition temporaire de 2024 du Musée de la marine en bois du Brivet portait le titre Des...
Reconstitution du naufrage du Tacite
Cette reconstitution du naufrage du Tacite tel qu’il aurait pu se passer (Cf précédente lettre...
L'eau à bord des navires
L’eau à bord des navires : Comment avoir de l’eau douce et potable sur les océans avant 1850 ?Le...
Les mousses de Brière
Les Mousses de Brière au 17ème et 18ème siècle.Au 17 et 18ème siècle les hommes étant partis...
De marins à esclaves
Le sort peu enviable de quelques marins de Montoir1702, Denis Leprestre, natif de Montoir, meurt...
1942 : le massacre des apprentis
Le massacre des apprentis des chantiers le 9 novembre 1942En ce lundi 9 novembre 1942, le soleil...